Il y a 20 ans, l'arrêt Bosman

22/02/2012 15:46

    Dans un article publié sur le site internet sofoot.com, Regis Delanoë revient sur le conflit ayant opposé en 1990 le joueur de football Jean-Marc Bosman face à la règlementation footballistique en vigueur à l'époque. Il expose d'abord les faits puis les conséquences -retentissantes- de la décision rendue par la Cour de Justice des Communautés Européennes le 15 décembre 1995, nommée arrêt Bosman. Cet arrêt donne raison à Bosman : désormais, lorsq'un joueur est arrivé en fin de contrat, il se trouve entièrement libre et son ancienne équipe ne peut plus réclamer d'indemnité de départ s'il signe dans un autre club ; et surtout les clubs peuvent "compter dans leurs effectifs autant de ressortissants de l'Union Européenne qu'ils le souhaitent".

    En efffet jusqu'à cette date historique, les groupes sportifs ne pouvaient engager qu'un quota défini de joueurs étrangers. Les équipes étaient donc constituées presque exclusivement de joueurs nationaux. Mais depuis le Traité de Rome de 1957 et la naissance de la Communauté Economique Européenne, se construit en Europe un marché commun garantissant la libre circulation des marchandises et des travailleurs ; construction renforcée par la naissance de l'Union Européenne en 1992. Or le sport, jusqu'à l'action en justice de Bosman, était resté un milieu préservé de ces règles, comme une exception culturelle. Depuis le 15 décembre 1995, "le joueur de football est désormais considéré comme un travailleur et peut librement circuler au sein de l'Europe".

    Ce changement a eu le mérite de libérer les joueurs en leur offrant une mobilité internationale. Il a permis de résoudre certains problèmes de chômage en mettant fin à des situations absurdes comme celle de Bosman : une demande de joueurs en France et des joueurs bloqués en Belgique. Il permet aussi à des joueurs en mal de performances dans leur pays de se relancer à l'étranger. L'Equipe évoquait encore récemment le cas d'Aurléien Montaroup, revenant en France après une période d'exil en Biélorussie où il s'est imposé comme l'un des meilleurs défenseurs d'Europe de l'Est. Et il offre la possibilité à tout joueur de progresser à l'étranger, comme ce fut le cas des Bleus champions du monde et d'Europe en 1998 et 2000.

    Mais cette mobilité est vite devenue incontrôlable et a abouti a une hyperlibéralisation des échanges de sportifs au sein d'un système favorisant alors les clubs les plus riches. L'auteur de l'article cite l'exemple de l'Ajax Amsterdam, dernier vainqueur de la Coupe d'Europe avant l'arrêt Bosman, "avec une équipe hollandaise presque exclusiment constituée de locaux formés au club." Aujourd'hui, qu'est-ce que l'Ajax face au FC Barcelone, au Milan AC et à la poignée de clubs européens qui dominent ? Se tournant vers le passé, Regis Delanoë constate : "Elle est bien loin l'époque où l'Etoile Rouge de Belgrade, le Steaua Bucarest, Bruges ou Malmö (des noms inconnus pour les jeunes supporters) disputaient la finale de la C1. En quinze ans, l'élite européenne s'est considérablement resserée et la compétition reine a perdu en diversité." Les clubs qui ont réussi, mis à part Barcelone qui, comme l'indique le journaliste, possède un centre de formation très performant, sont ceux qui ont adopté très tôt des stratégies de firmes multinationales. L'exemple le plus flagrant est celui d'Arsenal. Suite à l'arrivée du coach français Arsène Wenger, l'effectif s'est considérablement internationalisé, accueillant notamment les meilleurs joueurs français et hollandais, au point de ne plus présenter un seul joueur britannique sur la feuille de match ! Conséquence négative de l'arrêt Bosman, l'émergence de talents locaux est freinée, et l'internationalisation des effectifs peut provoquer une perte d'identification des supporteurs.

    D'autre part, l'arrêt Bosman a renforcé la marchandisation du football, et du sport en général. Si à l'origine les joueurs sont choisis pour leurs qualités, le rapport qualité/prix est désormais déterminant et les transferts de joueurs atteignent des montants toujours plus élevés (voir ici, le cas de Ronaldo). Le recrutement des joueurs étrangers est aussi un moyen d'ouvrir de nouveaux marchés (voir ici, le cas de Park Ji Sung). Le sportif s'en trouve parfois réduit au même traitement qu'une marchandise matérielle : citons le cas de Carlos Tévez, footballeur argentin acheté par la société Media Sports Investments et loué à différents clubs.

    L'arrêt Bosman a été complété par d'autres décisions de justice comme l'arrêt Malaja en 2002, et s'est étendu à l'ensemble des pays ayant signé des contrats avec l'UE, ouvrant ainsi la porte au vivier de footballeur africain ; le libre-échange sportif est désormais en vigueur dans tous les sports comme le prouve le tableau ci-dessous (d'après Légisport, Observatoire des footballeurs professionnels, 2009).

   

Proportions d'expatriés dans les championnats français de sports collectifs en 2008-2009, en %  
Pro A (basket homme) 48
Ligue A (volley femme) 46
Top 14 (rugby homme) 40
Ligue A (volley homme) 38
Ligue féminine (basket femme) 36
Ligue 1 (football homme) 31
D1 (handball femme) 26
D1 (handball homme) 25

 

En conclusion, si l'arrêt Bosman apparaît comme une décision juste, la création d'un marché mondial de sportifs soulève quelques interrogations car le sport n'est assurément pas un secteur économique comme les autres : doit-on laisser une liberté économique totale aux groupes sportifs ? Ceci soulève une question fondamentale : un groupe sportif se gère-t-il comme une entreprise ? Dans le sport amateur, certainement non, dans le sport professionnel, la réponse semble aujourd'hui être oui.

Article de sofoot.com disponible ici.