Le sport comme vecteur de la puissance d'un Etat

26/02/2012 19:51

Ce planisphère, intitulé Médailles aux Jeux Olympiques (1896-2008) a été publié par l'atelier de cartographie de Sciences Po en 2010.

Nous allons exploiter ce planisphère principalement à partir du dossier Affirmer sa puissance in Atlas du Sport Mondial par P. Gillon, F. Grosjean et L.Ravenel, p. 22-23, dont les premières phrases sont :

"La victoire sportive comporte une forte dimension symbolique, surtout dans les sports collectifs. D'une part, l'individu ou l'équipe représente une société nationale. D'autre part, la confrontation permet d'étalonner la valeur sportive de son pays vis-à-vis des autres. Au fur et à mesure que le sport acquiert une visibilité médiatique, le pouvoir politique comprend tout l'intérêt d'un sport national fort et le parti qu'il peut tirer de la victoire."

En effet, un coup d'oeil sur la carte permet de faire un lien immédiat entre la puissance politique et économique d'un pays et sa puissance sportive. On distingue nettement les trois pôles de la Triade : l'Amérique du Nord, l'Union Européenne et l'ensemble Corée du Sud-Japon, où se situent les cercles les plus larges. De même, des puissances émergentes telles que l'Australie, la Chine où la Russie présentent un nombre élevé de médailles. Elles ont été particulièrement nombreuses lors des Olympiades les plus récentes, ce qui correspond à la période de développement de ces pays. En revanche, les pays du Sud : Afrique, Amérique latine, Asie du Sud, ont obtenu très peu de médailles, voire pas du tout.

Quelles sont les raisons de cette hiérarchie sportive et les buts poursuivis par les pays les plus médaillés ?

Le premier facteur expliquant le nombre de médailles d'un pays et bien sûr la démographie : plus un pays est peuplé, plus il dispose de sportifs et de champions potentiels. D'autre part, le facteur culturel compte aussi beaucoup. En Inde par exemple, les sports les plus populaires sont le cricket et le hockey sur gazon, hérités de l'Empire colonial, et le Kabaddi, sport insolite pour les Occidentaux s'apparentant à une partie de chat très codifiée. Or de ces sports, seul le hockey sur gazon est olympique (entre 1928 et 1956, l'Inde a remporté les six médailles d'or en jeu!) et les Indiens pratiquent peu d'autres sports. Ainsi sur les 18 médailles remportées au total par l'Inde aux JO depuis 1896, 11 viennent du hockey sur gazon. C'est pourquoi cette puissance émergente reste une faible puissance sportive sur le planisphère ci-dessus. Par ailleurs, le niveau de développement d'un pays est immédiatement relié à sa pratique et ses résultats sportifs : les pays les plus développés disposent d'infrastructures dédiées au sport (il n'y a pas de vélodrome au Kenya, il y en a plusieurs dizaines en France...), de systèmes de détection et d'entraînement des meilleurs sportifs. Dans la quasi totalité des pays, le sport dépend directement des investissements de l'Etat, la puissance sportive d'un pays est donc directement proportionnelle aux dépenses consacrées. C'est aussi pour cette raison que l'Inde possède peu de médailles olympiques : le pays étant surpeuplé, le gouvernement a préféré axer ses investissements sur la satisfaction des besoins primaires de la population et le développement de l'éducation. A l'inverse, la Chine a connu, en une vingtaine d'années, une fantastique ascension sportive. Organisateur des JO de 2008, le pays est passé d'une vingtaine de médailles dans 9 sports ou disciplines en 1988 à 100 médailles dans 25 sports ou disciplines vingt ans plus tard, avec à la clé la première place du tableau de médailes et le titre symbolique de première puissance sportive, devant les Etats-Unis ! En effet les Chinois ont construit des infrastructures, développé les plans de détections et recruté les meilleurs entraîneurs mondiaux pour s'assurer un succès à Beijing.

Pour expliquer cette volonté de domination, il faut revenir à la fontion première des Jeux Olympiques de l'Antiquité : tous les quatre ans, les cités grecques interrompaient tous les conflits les opposant pour venir concourir à Olympie dans des épreuves athlétiques pacifiques pendant une trêve d'un mois appelée ekecheira, et les champions étaient honorés en héros. Aujourd'hui encore, le sport conserve cette dimension d'affrontement hautement symbolique. On a pu le voir au cours du siècle dernier, lorsque Etats-Unis et URSS, RFA et RDA rivalisaient farouchement : le sport était l'un des seuls terrains d'affrontement direct entre les deux blocs de la Guerre Froide. De plus, lorsqu'un sport se médiatise et devient populaire, il devient inéluctablement un support de la cohésion nationale, voire du nationalisme. Certains régimes ont alors tout intérêt à renforcer leur puissance sportive. Les exemples sont nombreux : dans les années 1930, Hitler voulut faire du cycliste allemand Albert Richter le symbole de la race aryenne, mais celui-ci s'opposa fermement au nazisme ; à partir de 1976, le régime roumain de Nicaloae Ceausescu érige la gymnaste Nadia Comaneci en symbole de sa réussite... Ainsi les résultats sportifs sont hautement politisés et comptent parfois tout autant que les résultats économiques dans la réussite d'un pays.

Mais les médailles et les victoires ne sont pas le seul moyen pour un Etat d'affirmer sa puissance à travers le sport. Deux Etats en particulier ont choisi des stratégies différentes. Il s'agit du Qatar, micro-Etat riche, mais vulnérable, qui se donne une importance mondiale en rachetant de grands groupes sportifs et en organisant les compétitions mondiales les plus importantes : voir ici notre article. Le second Etat ayant adopté une politique différente en matière de sport est la Suisse. Certes l'Etat helvétique de près de 8 millions d'habitants possède une tradition sportive occidentale ancienne et a produit de nombreux champions dans des disciplines variées : récemment, les skieurs Simon Ammann et Dider Cuche, le tennisman Roger Federer, le cycliste Fabian Cancellara... Mais surtout, la Suiss est aujourd'hui la capitale du sport mondial, abritant 23 des 33 fédérations internationales de sports olympiques, dont 16 dans la seule ville de Lausanne ! La neutralité politique fut la raison pour laquelle Pierre de Coubertin transféra le Comité International Olympique en Suisse lors de la première Guerre Mondiale. Le CIO jouant un rôle croissant dans l'organisation du sport mondial a "polarisé" les fédérations, mais ce sont surtout le régime fiscal attractif et la législation souple, permettant notamment aux associations basées en Suisse de rédiger leurs statuts en toute liberté, qui ont fait le succès de la Suisse.

Ainsi, l'obtention de succès sportifs constitue pour les Etats un excellent moyen d'affirmer leur puissance et leur supériorité internationale, ce qui contribue à intégrer le sport dans les enjeux politiques majeurs et a parfois abouti à des tensions extrêmes et à des débordements, comme l'organisation d'un système de dopage généralisé dans l'Allemagne de l'Est entre 1970 et 1980. Mais le succès sportif n'est pas la seule voie puisque l'organisation d'évènements sportifs et l'abri de sièges de fédérations internationales font du Qatar et de la Suisse deux acteurs majeurs du sport mondial, et par là même de la politique mondiale.

Voir aussi l'exposition virtuelle sur les héros du sport par le Musée Olympique.

Par Hugo Rouland