The Big Score

17/12/2011 14:16

Couverture du Time Magazine Europe, 7 Mai 2007

Le 7 Mai 2007, le supplément au journal Time consacrait sa une ainsi qu'un important dossier au football. Dans un article intitulé "The Big Score", Adam Smith analysait les raisons du succès économique de la Premier League anglaise, principal championnat européen de football.

Les chiffres avancés par le journaliste témoignent de l'énorme réussite financière du championnat de football anglais. Avec 2,5 milliards de dollars de revenus net pour la saison 2004/2005, la Premier League est la ligue de football la plus rentable d'Europe. Les deux autres ligues ayant les revenus les plus élevés, La Bundesliga allemande et la Serie A italienne ayany obtenu "à peine" 1,5 milliard de dollars ! La Ligue 1 française, pourtant 5ème division européenne, a généré quant à elle 800 millions de dollars... Cet écart s'est creusé au cours des cinq dernières années, où les revenus de la Premier League se sont envolés de plus d'un milliard de dollars. D'autre part, même si les revenus totaux sont plus faibles que la NBA et la NFL, les deux ligues sportives (basketball et football américain) les plus représentées aux Etats-Unis, le revenu moyen par club est plus élevé en Premier League qu'en NBA. De plus, l'auteur souligne que la Premier League se montre aussi compétitive (financièrement parlant) que ces deux ligues américaines dans un pays dont la population est 6 fois moins importante que celle des Etats-Unis. Ainsi, il mentionne une étude statistique qui a montré que a Premier League réalise 50% plus de gains de retransmission télévisuelle proportionnellement au nombre d'habitant que la NFL et 8 fois plus que la NBA !

    N'allons pas croire pour autant que les Anglais suivent le football avec 6 fois plus de ferveur que les Américains suivent le Super Bowl. Le succès de la Premier League s'explique par la mondialisation du football et notamment la diffusion internationale des matches. Ainsi, lorsqu'en 1992 la Premier League se détache de la Football League anglaise, elle obtient son indépendance économique. Les droits de retransmission télévisuelle sont attibués pour cinq ans à la chaîne de télévision par satellite Sky pour 350 millions de dollars. Ainsi, parallèlement au regain d'activité en Angleterre (où, après les années 1980 marquées par de graves affrontements de supporters, l'Etat s'est efforcé de moderniser les stades et d'ouvrir le football à un public plus large et plus discipliné), les matches de football anglais ont pu être vus par des millions de spectateurs étrangers. Ainsi l'article d'Adam Smith inclut une courte interview du président du fan club de Liverpool en Thaïande ! Celui-ci explique comment les Asiatiques sont immédiatement devenus fans du football dynamique pratiqué par les Anglais. Le journaliste cite également des chiffres impressionnants : en 2007, on compte 75 millions de fans de Manchester United dans le monde dont 41 millions en Asie. D'une part, ceux-ci regardent les matches à la télévision : la Premier League est diffusée dans plus de 200 pays (l'article est illustré de photographies prises au Kenya et à Hong-Kong), et les droits de retransmission représentent à eux seuls 25% des financements de la Premier League pour la saison 2007/2008. D'autre part, ces supporters achètent les produits dérivés mis en vente par les boutiques de clubs. Sur la photographie prise à Hong-Kong, tous les supporters réunis dans la salle du fan-club portent le maillot officiel de Liverpool. Ces ventent représentent une grande part des revenus de la ligue et des clubs. Par exemple, Manchester United a signé un contrat avec son équipementier Nike, qui en échange de l'intégralité des revenus des ventes de maillot, a versé plus de 40 millions de dollars au club. Ce succès a grandissant en Asie a été amplifié par l'arrivée du Sud-Coréen Park Ji Sung dans les rangs des "Diables rouges" en 2005, et le développement de l'Internet avec le développement de sites dans les langages locaux qui permettent aux Asiatiques de suivre en temps réel l'actualité de leur club favori... Et de commander ses produits dérivés. Cette réussite économique soulève l'intérêt des sponsors : de riches mécènes étrangers qui achètent les clubs anglais, le Russe comme Roman Abramoich, qui a acheté en juillet 2003 le club de Chealsea pour 218 millions de dollars, ou encore l'Américain Malcolm Glazer, propriétaire de Manchester United depuis mai 2005 pour 1,4 milliard de dollars ; mais aussi les marques figurant sur les maillots qui paient des montants toujours plus élevés aux club pour figurer en vitrine du sport le plus suivi au monde.

La clé du succès économique de la Premier League réside, selon Adam Smith, en trois points : éradiquer les hooligans, attirer les investissements et étendre ses horizons. Autrement dit, inclure le football anglais dans la mondialisation économique mondiale. La phrase de Martin Sullivan, directeur général de la compagnie d'assurance américaine AIG ayant versé 28 millions de dollars pour figurer sur le maillot de Manchester United en 2007/2008 : "Je n'achète pas le Royaume-Uni, j'achète l'Asie.", abonde en ce sens.

La Premier League a donc clairement su tirer profit de la mondialisation pour faire du football anglais un sport dynamique et rentable. Mais l'auteur mentionne quelques bémols qu'il semble bon de mentionner. Contrairement à la NBA et à la NFL, l'écart de revenus entre le club le plus riche et les plus pauvre est très important : le rapport atteint 4,7:1 en 2004/2005. Dans les deux fédérations américaines, des systèmes comme le fameux "salary cap" permettent de répartir la masse salariale et les revenus équitablement entre le clubs. Pas en Premier League où, par exemple, les droits de retransmission télévisuelle sont répartis en fonction des matchs diffusés et du résultat sportif. Il apparaît alors logique que les clubs les plus pauvres soient enfermés dans un cercle vicieux : ils recoivent moins d'argent, donc achètent des joueurs moins bons et disposent de moins bons moyens de préparation et d'équipement, donc obtiennent de moins bons résultats, donc sont moins diffusés, et donc gagnent moins d'argent, et ainsi de suite... D'où la formule fataliste qui figure dans l'article : "Ceux qui peuvent gagner la Premier League, et ceux qui ne la gagneront pas."

Mais dès lors que ce constat est évident, nous pouvons nous poser une question capitale : le principe de l'égalité des chances dans le sport est-il préservé ? Il semble évident que non, puisque certains clubs savent qu'ils ne gagneront pas, à moins de réussir, dans un futur hypothétique, à inverser la tendance de l'appreil économique. Mais personne ne semble s'en inquiéter, ni les supporters qui trouvent toujours la Premier League "excitante et imprévisible" grâce à la lutte farouche entre les quatre meilleurs clubs du championnat qui se sont partagés tous les titres depuis 1992, ni les investisseurs pour lesquels "un club 10ème ou 12ème de la meilleure ligue reste bon"... Et rentable malgré tout. Mais... Et les joueurs ? Peut-être qu'ils sont trop heureux de mener une vie (très) confortable grâce au succès de la ligue, et acceptent de reporter leurs ambitions sur la Coupe d'Angleterre, comme Manchester City, qui a remporté en 2011 la Coupe d'Angleterre, 20 ans après sa dernière victoire en Coupe et 53 ans après sa dernière victoire en championnat. Ou encore, peut-être jouent-ils dans ces clubs moins compétitifs dans l'espoir d'évoluer un jour vers l'un des quatre "Grands". Et les supporters authentiques ? Ceux qui ont toujours soutenu et soutiendront toujours leur club local ? Adam Smith conclut son article sur une phrase amère : "La Premier League anglaise a quitté le monde de ces supporters depuis logntemps."

Ainsi, si la mondialisation est bénéfique pour l'économie du football, elle ne semble pas avoir de frein qui l'empêcherait de nuire au plan sportif. Cet article montre bien que la Premier League s'éloigne de plus en plus d'un championnat sportif pour se rapprocher d'une entreprise multinationale. Doit-on s'en réjouir ? Pour les défenseurs de valeurs de l'olympisme, j'en doute...